Briser son innocence pour la protéger

Hier soir j’ai eu une discussion avec ma fille de 4 ans et demi. Une conversation que j’aurai préféré ne jamais avoir.
Non, je ne parle pas de la fameuse “Comment on fait les bébés” mais de celle qui brise trop jeune leur insouciance et leur vision Bisounours du monde. Celle qui commence par ” tu sais ma chérie, dehors, parfois il y a des gens qui ne sont pas gentils”.

Nous vivons dans un monde qui parfois me fait peur. Un monde dont bien souvent j’essaie d’ignorer la méchanceté, la violence, la cruauté. Un monde où, du moment où on a conscience de ce qu’il est, on ne se sent plus en sécurité. Mais on essaie de ne pas y penser.

Pendant le souper, MllePanda papote comme à son habitude (impossible de la faire taire ne serai-ce que 5 minutes lol), et là elle me regarde et me dit : “Moi, j’adore les adultes”.

Il est vrai que Mlle, a toujours été une enfant qui préfère les grands. Elle a longtemps été très délicate, pas du genre à s’imposer et le coté un peu brute parfois des enfants la déstabilisait. Et puis faut reconnaitre qu’elle a souvent aussi été avec les adultes le centre de l’attention, la petite star. C’était donc pour elle plus agréable d’être avec des grands qui s’occupent d’elle, qu’avec des petits qui la bousculent, qui crient etc.

Depuis qu’elle est grande soeur, elle a une obsession sur le fait de grandir. Beaucoup de ses phrases commencent par “quand je serai maman” (comprenez quand je serai grande comme maman), ou “quand je serai adulte”. Même si son nouveau statut a engendré une phase de régression, il lui a aussi permis de mieux réaliser l’évolution de l’être humain.

Comme beaucoup d’enfants, elle veut être grande pour faire des choses de grands. D’adultes.

Cela fait déjà longtemps que  j’ai peur pour elle, comme tous les parents je pense.

À chaque fois que je regarde la télévision, que je vois une alerte enlèvement, que j’entends parler d’affaires de pédophilie, de harcèlement, de maltraitance par des inconnus, ou à l’école etc, je tremble. Je regrette même parfois de leur infliger ça. Bah oui, c’est moi qui ai égoïstement voulu des enfants sachant pertinemment à quoi ils allaient être confrontés dans la vie. Puis, une autre part de moi se dit qu’il ne faut pas dramatiser et voir le mal partout, que je ne peux pas les enfermer dans une bulle pour les protéger de tout. Je ne peux pas les empêcher de courir sous prétexte qu’ils risquent de tomber. Je ne peux pas les empêcher de faire des expérience de peur qu’ils fassent des bêtises, ni tout faire à leur place de peur qu’ils échouent et perdent confiance car c’est aussi en faisant qu’on apprend même si parfois on se rate.

Je ne peux pas les empêcher d’être sociable, d’avoir envie de dire bonjour à tout le monde dans la rue, de raconter leur vie à la mamie devant nous à la caisse, juste parce que j’ai peur de ce dont sont capables les gens.

Mlle est hyper sociable. Elle parle à tout le monde comme si elle les connaissait depuis toujours. Et j’aime ça, j’aime qu’elle ne se pose pas de questions sur l’âge, le sexe, l’origine, la couleur de peau, le physique ou autre. Mais à chaque fois qu’elle discute avec un inconnu, même si je suis à 5 cm, deux sentiments s’entrechoquent en moi. La fierté et la peur.

Alors, hier soir, quand elle m’a parlé des adultes qu’elle adore, j’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai dit:

“Tu sais ma chérie, c’est bien d’aimer les gens, mais il ne faut pas aimer tout le monde. Parfois, il y a des gens qui sont méchants et qui peuvent te faire du mal. Dehors, il y a des gens qui mentent, qui disent qu’ils sont gentils mais c’est faux. Il y a des gens qui enlèvent des enfants, qui les prennent pour qu’ils ne revoient plus jamais leur papa et leur maman. Des gens méchants qui font du mal, disent des vilaines choses.
Quand tu es avec Papa et Maman, quand tu es à la maison, tu es en sécurité. La porte est fermée à clé, personne ne peut rentrer. Quand tu es avec nous personne ne peut te faire du mal. On est là, et on te protègera toujours. Mais dehors, il faut faire attention. Beaucoup de gens sont gentils, mais pas tous. Il ne faut pas tout dire à des gens que tu ne connais pas. Il ne faut pas partir avec des gens même si ils sont gentils. Tu ne pars que avec Papa ou Maman, ou avec les tontons et taties, Papi et mamie mais que si c’est Papa et Maman qui ont dit oui. Si quelqu’un est méchant, un enfant, un adulte, la maitresse, etc, tu nous le dis. Personne n’a le droit de te faire du mal, personne n’a le droit de te prendre.

C’est bien d’être gentille, de dire bonjour, de sourire, de dire aux gens qu’ils sont jolis, de faire des câlins… Mais il faut faire attention.

Je sais, c’est difficile à comprendre. Ce n’est pas normal ni logique. Depuis que tu es petite on te dit que c’est bien d’être gentille, de dire bonjour et de sourire aux gens. Et aujourd’hui, je te dis qu’il ne faut pas le faire tout le temps.

Non, ma chérie, tu ne dois pas avoir peur. Personne ne va venir te prendre pendant que tu dors. Les méchants sont dehors, la porte est fermée et même si ils sonnent promis je ne leur ouvrirai pas. Tu es en sécurité, Papa et moi on te protège. Comme pour les monstres et les fantômes dans ta chambre, Papa et Maman les font partir. Tu n’as rien à craindre. Mais, quand Papa et Maman ne sont pas avec toi, fait attention…”

Elle est tellement petite encore, tellement innocente. Il y a tellement de nuances et de subtilités qu’elle a du mal à comprendre. Et c’est normal, car même moi, en tant qu’adulte, il y a toujours des choses que je ne comprends pas. Comment peut-on faire du mal à des enfants? Comment on peut avoir de tels gestes, de telles pensées? Comment on peut enlever un enfant à ses parents?

Tant de choses qui me font peurs. Tant de peurs que je ne veux pas lui transmettre et pourtant, il faut expliquer, dire les choses. Vouloir à la fois les protéger et préserver leur innocence c’est difficile. Trouver les bons mots pour ne pas leur faire peur mais qu’ils aient tout de même conscience du danger.

À quel âge en parler? Comment en parler? Je ne sais pas si on peut se préparer vraiment à leur réaction, à leurs questions avec notre vision d’adulte.

Hier soir, j’ai senti que le moment s’y portait, pendant le repas, sans rendre la chose trop solennelle. Hier soir, j’ai eu une conversation des plus difficiles pour moi. Hier soir, j’ai vu la peur dans les yeux de ma fille pendant quelques secondes. Je l’ai vu s’imaginer qu’on allait l’enlever loin de nous pendant la nuit. Alors je l’ai rassuré autant que j’ai pu et je continuerai à le faire autant qu’elle en aura besoin. Autant que moi, j’en aurai besoin.

Hier soir, j’ai cassé un bout de l’innocence de ma fille. J’aurai préféré lui dire que le Père Noël n’existe pas, c’est triste, c’est nul mais à la fin on a quand même toujours les cadeaux.
Alors que là…

Hier soir, j’ai raconté la vraie vie à ma fille.

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3 réponses

  1. Oh comme ça me parle ! Ma grande est aussi très sociable et va très facilement vers les adultes. Alors comme toi j’ai du la mettre en garde. Je crois que je vais m’inspirer de ton texte pour lui en reparler, je trouve que tes mots sont sont vraiment bien choisis !

  2. Picou dit :

    Je crois qu’il est important de le faire, comme tu l’as fait, quand on sent le bon moment – pour que l’enfant soit réceptif, mais pas effrayé inutilement. Sans dramatiser aussi – en donnant l’information comme telle, mais en soulignant en même temps que ça ne concerne pas tout le monde et que ce n’est pas n’importe quand, qu’on est quand même en sécurité la plupart du temps. La balance n’est pas facile, entre protéger nos enfants et leur créer un traumatisme! Je trouve ça bien aussi de ne pas en parler une seule fois, mais de glisser par ci par là quelques rappels! L’information est ainsi mieux intégrée, l’enfant se dit “c’est important, il faut y faire attention mais papa-maman restent là pour me protéger”. Et puis en tant que parent, il faut aussi veiller à ce que tout ça ne nous mine pas, et à ne pas trop s’angoisser non plus!

  3. Isandre dit :

    Oh oui ce moment creve coeur oú on doit leur expliquer à quel point le monde peut être moche alors que l on ne voudrait toujours pas y croire nous-mêmes. Je trouve tes mots très beaux. Apprendre à se protéger c est très important aussi et ça permet de continuer à s émerveiller en toute sécurité.

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